La médecine personnalisée est aujourd’hui entrée en routine dans la prise en charge des cancers. On adapte le traitement à la tumeur de chaque patient et non pas à un « nom » général de tumeur grâce à son profil moléculaire. Aujourd’hui, il est essentiel d’aller plus loin et de vérifier la pertinence fonctionnelle de cette approche thérapeutique en transformant la recherche fondamentale en application clinique, tout en boostant et en organisant la partie translationnelle, tout cela au profit des patients.
Une médecine personnalisée fonctionnelle pour mieux soigner les cancers pédiatriques
Les équipes du Centre Léon Bérard et du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon (CRCL), et plus particulièrement l’équipe « Mort Cellulaire et Cancers de l’Enfant », co-dirigée par Marie Castets, directrice de recherche Inserm, et le Pr Jean-Yves Blay, directeur général du Centre Léon Bérard, ont mis en place un processus de « primo-culture immédiate » représentant fidèlement la tumeur du patient et permettant de tester in vitro différents médicaments susceptibles de lui être administrés. En pratique, une partie de la tumeur du patient est prélevée au moment de la biopsie. Parallèlement à ce qui est fait en routine dans la prise en charge habituelle (diagnostic, profilage moléculaire…), les chercheurs vont cultiver les cellules tumorales en laboratoire et leur appliquer différents médicaments sélectionnés par les pédiatres comme d’intérêt potentiel pour le patient. En une semaine environ, ils pourront ainsi en déduire les traitements les plus efficaces, ou au contraire, ceux qui ne le sont pas.
« Grâce à cet outil, nous pouvons tester une molécule, une combinaison mais aussi un schéma d’administration que l’on n’a pas l’habitude de donner. Ainsi, nous pouvons sélectionner quel médicament nous parait particulièrement intéressant pour traiter une tumeur précise, mais aussi éliminer les traitements que nous aurions pu prescrire au patient par habitude et qui sont totalement inefficaces sur la primoculture in-vitro…et donc potentiellement chez le patient. Tout cela au profit de l’enfant que l’on éviterait d’exposer à une molécule inefficace et à une toxicité qui n’a pas lieu d’être » explique le Dr Pierre Leblond, pédiatre oncologue engagé dans ce projet.
Les organoïdes pour mimer le développement de la tumeur
En parallèle des primo-cultures, l’équipe de recherche de Marie Castets et du Pr Jean-Yves Blay développe des avatars de tumeurs appelés organoïdes, sous l’impulsion de Laura Broutier, chercheuse Inserm, et de Clémence Deligne, post-doctorante (modèles publiés en janvier 2025).
Des cellules de la biopsie sont placées dans un milieu de culture finement établi et cultivées pendant 4 à 8 semaines afin d’amplifier le matériel tumoral tout en maintenant au plus près les caractéristiques de la tumeur initiale. Grâce à cette phase d’amplification, il est alors possible de faire un screening de médicaments beaucoup plus large qu’en primo-culture. S’il prend plus de temps, ce processus sera très intéressant pour la suite de la prise en charge du patient car les organoïdes permettront de mimer l’évolution de la maladie et d’anticiper les médicaments qui pourront être utilisés par la suite, en cas de récidive par exemple : c’est ce qu’on appelle la médecine personnalisée fonctionnelle. On s’intéresse à la « vraie vie » et le patient bénéficie directement de ces recherches.
A ce jour, 18 modèles d’organoïdes de gliomes de haut grade et d'épendymomes sont disponibles au laboratoire. L’objectif est que des cancers pédiatriques beaucoup plus rares puissent en bénéficier, notamment ceux pour lesquels il n’existe actuellement aucun modèle.
Ce projet demande une importante organisation logistique. Pour cela, « nous collaborons avec les chirurgiens et anatomopathologistes des Hospices Civils de Lyon qui respectivement prélèvent et caractérisent la tumeur chez les jeunes patients. Nous avons ensuite des techniciens de laboratoire qui sont chargés de la prendre en charge jusqu’au laboratoire. Grâce à la proximité entre chercheurs et cliniciens sur le site du Centre Léon Bérard, une boucle vertueuse s’est formée et toutes les parties prenantes nous ont suivis dans ce projet » témoigne Marie Castets.
Ce process est actuellement utilisé dans des situations d’échecs thérapeutiques. Deux patients ont pu voir leur traitement adapté grâce aux résultats obtenus dans le laboratoire. L’ambition est de montrer la faisabilité et la valeur ajoutée de ce système afin de l’utiliser en routine, éventuellement dès la première ligne du traitement, pour orienter de façon toujours plus personnalisée.