L’informatique au service de la biologie

illustration de la recherche

Pour accélérer la mise à disposition des découvertes issues de la recherche fondamentale aux patients atteints de cancer, la bioinformatique est aujourd’hui devenue un enjeu majeur.

Pourquoi et comment ça marche ? Frédéric Catez, biologiste moléculaire au sein de l’équipe « Ribosome, traduction et cancer » du Centre de recherche en cancérologie de Lyon, et Eric Rivals, chercheur en informatique et bioinformaticien, directeur de l'Institut de Biologie Computationnelle dans le Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier (LIRMM) répondent à nos questions à partir d’un exemple concret.

L’informatique au service de la biologie L’informatique au service de la biologie 2022-06-23T18:28:03+02:00 2022-06-30T18:58:08+02:00 /sites/default/files/2022-06/informatique-recherche-generique-clb-romain_etienne-collectif_item.jpg

Le 10 janvier 2022, la prestigieuse revue Nature Communication publiait « Alteration of ribosome function upon 5-fluorouracil treatment favors cancer cell drug-tolerance », un article sur des travaux mené au sein du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL) permettant de mieux comprendre le rôle du ribosome dans la résistance à l’une des molécules de chimiothérapie les plus anciennes et les utilisées dans le traitement du cancer : le 5-fluorouracil ou 5-FU.

Dans quelques cancers (colorectaux, pancréas, tête et cou principalement), une partie des patients traités avec une combinaison de molécules, dont le 5-FU, sont en échec thérapeutique, les cellules cancéreuses devenant tolérantes à la drogue.

« Notre étude représente une étape sur la voie qui sera de longue haleine, pour mesurer de façon objective les effets positifs ou négatifs de la plus vieille chimiothérapie utilisée depuis 1957 et, éventuellement aboutir au changement des pratiques cliniques si nous démontrons, comme nous en avons l’intuition que son utilisation en clinique devrait être ré-évaluée. La route sera longue, mais nous sommes déterminés, tenaces et motivés », explique Jean-Jacques Diaz, responsable de l’équipe « Ribosome, traduction et cancer » au CRCL.

Ces travaux prometteurs ont bénéficié de l’apport de la bioinformatique, un champ de recherche pluridisciplinaire, dont on parle de plus en plus dans la recherche en cancérologie. Interview croisée à découvrir pour mieux comprendre les enjeux de cette collaboration exceptionnelle au service de la recherche menée au Centre Léon Bérard.

Pourquoi l'informatique intéresse-t-elle les biologistes ?

Nous avons posé la question à Frédéric Catez, chercheur au sein de l'équipe " Ribosome, traduction et cancer ".

Depuis combien de temps vos recherches s’appuient sur la bioinformatique ?

Frédéric Catez : Depuis 5 années. Notre équipe « Ribosome, traduction et cancer » a accès, en routine, à la plateforme de bioinformatique Gilles Thomas du Centre Léon Bérard. Nous avons plusieurs études en cours. Un des doctorants de notre équipe est bioinformaticien et un des ingénieurs d’études de l'équipe, Théo Combe, travaille à 100 % sur la plateforme sur les travaux de notre équipe. En parallèle, nous avons une collaboration de longue date avec l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier et c’est dans ce cadre que nous travaillons avec Eric Rivals du LIRMM.

Que vous apporte la bioinformatique ?

Aujourd’hui, en biologie, nous avons des technologies qui permettent d’acquérir un très grand nombre de données et l’informatique est le seul outil qui nous permette de les comprendre, il est donc pour nous incontournable. Ainsi, avant de publier notre article dans Nature Communication, des relecteurs ont souhaité des précisions sur nos résultats concernant la synthèse protéïque assurée par les ribosomes, un des composant de nos cellules. Une des technologies utilisées pour analyser cette synthèse protéïque est le séquençage qui génère des millions de fragments séquencés, soit des millions de signaux détectés par échantillon. Nous avons alors besoin des mathématiques, de la bioinformatique et de la biostatistique pour les analyser et les rendre « lisibles » par des biologistes.

Pour répondre aux relecteurs, nous avons dû effectuer un séquençage complémentaire, ce qui a engendré un très grand nombre de données supplémentaires qu’il nous fallait interpréter dans un temps limité. Cela nécessitait, en outre, une méthode de calcul particulière, car non standard. Nous avons posé notre problème à Eric Rivals, un de nos collaborateurs de notre projet sur le 5-FU.

Une étape importante est que le biologiste et le bio-informaticien prennent le temps de se comprendre, de traduire la question biologique en requête informatique (ou en question de calcul informatique). Nous cherchons quelle procédure informatique répond à la question biologique pour, au final, trouver une solution rendant plus facilement interprétables aux biologistes moléculaires ces 6 millions de données complémentaires. Le succès de notre collaboration avec Eric Rivals repose en partie sur cette communication à l'interface de nos deux domaines d'expertise. Pour simplifier, nous pourrions dire que les bioinformaticiens transforment les signaux en représentations graphiques interprétables. L’interdisciplinarité est un réel atout pour faire avancer la science et concerne d’autres professions. C’est une valeur importante au Centre Léon Bérard et c’est pour cette raison que les chercheurs de notre équipe ont souhaité s’installer sur le site du Centre de lutte contre le cancer. Grâce aux interactions avec les médecins cliniciens du Centre Léon Bérard, nous souhaitons apporter des réponses directement applicables pour les patients. Par ailleurs, nos travaux de recherche fondamentale ont abouti à plusieurs preuves de concept, qui sont en cours d’évaluation notamment au Centre de découverte et de développement de médicaments (C3D), une des plateformes de recherche translationnelle du Centre Léon Bérard. Pour Eric Rivals, se rapprocher de la recherche translationnelle, des cibles thérapeutiques est une des raisons de son implication et un des bénéfices le concernant.

... En quoi la biologie intéresse-t-elle les bio-informaticiens ?

Eric Rivals, chercheur à Montpellier, directeur de l'Institut de Biologie Computationnelle nous répond.

Eric Rivals

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le travail que vous avez mené avec l’équipe du CRCL ?

Eric Rivals : D'abord la vision de spécialistes des cellules cancéreuses et de leur fonctionnement, ainsi que le projet en lui-même qui vise à comprendre l'importance dans le cancer de ce processus biologique qu'est la traduction des ARN. Plusieurs de mes projets concernent l'acquisition de résistance dans le cancer, et celui-ci est complémentaire à mes autres activités de recherches. Ensuite, la collaboration scientifique en soi, avec de nombreux membres de l'équipe de Jean-Jacques Diaz, se révèle tout aussi efficace qu'agréable. Le type de données qui combine RNA-seq et POL-seq impose des analyses bioinformatiques qui intègrent les deux types d'informations. C'est assez rare et cela nous permet d'être en pointe techniquement.

Qu’est-ce que cela vous apporte scientifiquement, et personnellement ?

En tant que chercheur pluridisciplinaire, je suis toujours à la recherche de connaissances sur les modèles et phénomènes biologiques : l'interaction et la collaboration avec l'équipe de Jean-Jacques Diaz m'apporte beaucoup sur ce plan. Cela fait naître de nouvelles idées.

Qu’est-ce que le ribosome ?

Le ribosome est un des composants de la cellule. Il s’agit d’une machinerie complexe qui permet de fabriquer les protéines à partir du code génétique et en fonction des besoins de la cellule.

« Biologistes moléculaires, utilisant le séquençage pour comprendre les mécanismes cellulaires et plus particulièrement ceux liés au ribosome, un des composants de nos cellules, nous générons des millions de données lorsque nous étudions des échantillons tumoraux. Des millions de données qu’il nous faut interpréter. C’est là qu’intervient la bioinformatique. Nous avons l’envie que ce que nous faisons débouche sur de vraies perspectives d’application pour les patients. »

Frédéric Catez