COMMENT EST NÉ VOTRE PROJET DE RECHERCHE ?
Pr LEBECQUE : « Avant de débuter, il faut comprendre ce qu’est un récepteur et un ARN double brin (ARNdb). Le récepteur est une protéine, généralement située à la surface des cellules. Il est capable de fixer une molécule porteuse d’une information et de convertir ce message extracellulaire en signal intracellulaire. Cela va entrainer une réponse de la part de la cellule.
L'ARN est une molécule biologique très proche de l'ADN du point de vue de sa structure moléculaire. Il se distingue par son rôle essentiel de messager de l'information génétique. Un ARN double brin est un ARN composé de deux brins complémentaires. Quand de l’ARN double brin est présent à l’extérieur des cellules, il est détecté par un récepteur et les cellules interprètent cette information comme le témoin de la présence d’un virus qui déclenche une réponse antivirale.
Notre projet de recherche est parti d’une de nos observations : un récepteur de l’immunité, le Toll-like récepteur 3 (TLR3), qui est bien connu pour reconnaitre les ARNdb et pour initier une défense contre les virus, a une fonction tout à fait originale lorsqu’il est exprimé par les cellules cancéreuses. En effet, quand il est activé dans les cellules tumorales, TLR3 est capable de servir de récepteur inflammatoire contre les virus, mais aussi de récepteur de mort cellulaire. En d’autres termes, une fois que l’on active TLR3 avec de l’ARNdb dans des cellules tumorales, celles-ci meurent dans 50 % des cas, d’une mort particulière qu’on appelle l’apoptose.
De plus, contrairement à ce qui avait été décrit jusqu’alors, cette apoptose n’est pas « silencieuse » mais au contraire associée une forte inflammation. Cette découverte inattendue laissait penser que l’activation de TLR3 dans les cellules tumorales pouvait théoriquement déclencher une réponse immunitaire contre celles-ci. Nous nous sommes donc lancés sur ce projet de recherche pour approfondir cette piste. »
POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS ?
Pr LEBECQUE : « Nous avons débuté par une phase de recherche fondamentale. Lors de cette étape, nous nous sommes retrouvés confrontés à un problème. Le mode de production de tous les ARNdb déjà existants depuis 30 ans pour activer TLR3 ne permettait pas de savoir exactement ce qu’ils contiennent. Leur utilisation comme médicament pour les patients était donc impossible.
Nous nous sommes tournés vers des spécialistes avec une idée en tête : pourrions-nous produire des ARNdb synthétiques parfaitement définis et capables d’activer TLR3 ?
À partir de cette idée, nous avons alors testé un certain nombre de molécules, jusqu’à identifier des caractéristiques d’ARNdb capables de se comporter comme des ligands (molécules qui se lient à un récepteur pour l’activer) de TLR3. »
QUELLE A ÉTÉ LA SUITE DE CETTE DECOUVERTE ?
Pr LEBECQUE : « Au Centre Léon Bérard, nous avons déposé un brevet décrivant ces nouveaux ligands. Nous avons montré que ces ARNdb déclenchaient une autovaccination antitumorale dans des modèles expérimentaux. En effet, l’injection dans des tumeurs de ces ARNdb entrainait non seulement la disparition de 40 % de ces tumeurs, mais les organismes en question étaient également devenus complètement résistants si on les exposait à ces mêmes tumeurs, jusqu’un an après leur guérison. Les organismes avaient donc été immunisés suite à leur vaccination par leur propre tumeur.
Actuellement, nous poussons plus loin l’étude en nous demandant dans quelle mesure cette autovaccination pourrait protéger, par protection croisée, contre un second cancer. »
COMMENT ARRIVER MAINTENANT À APPLIQUER CES DECOUVERTES ?
Pr LEBECQUE : « L’injection dans la tumeur d’un médicament chez le patient pose des problèmes de logistique et d’accessibilité selon la localisation du cancer. Un ARNdb nu est très rapidement éliminé dans les urines.
Nous travaillons donc à le coupler à un anticorps dirigé contre les tumeurs. Cela devrait permettre de prolonger sa présence dans le sang circulant et de cibler efficacement les cellules tumorales. C’est une phase expérimentale. Ensuite nous devrons nous assurer qu’un tel traitement peut être produit à des coûts raisonnables et en grande quantité. »
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE VOTRE ÉTUDE À LONG TERME ?
Pr LEBECQUE : « Notre approche correspond à une vaccination antitumorale personnalisée, puisque la tumeur de chaque patient(e) devient son propre vaccin. Chez l’homme, plus de 50 % des cancers expriment TLR3 à différents niveaux. On pourrait donc utiliser TLR3 comme un biomarqueur pour identifier les cancers susceptibles de répondre à ce traitement.
De plus, dans les modèles que nous avons étudiés, l’injection dans la tumeur de notre ARNdb augmentait fortement l’efficacité des immunothérapies classiques. Cela ouvre de belles perspectives pour soigner et éventuellement guérir de nombreux patients atteints de cancer. »
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Pour aller plus loin : la recherche au Centre Léon Bérard
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