Chercheurs en confinement : comment se poursuit la recherche contre le cancer ? Témoignages

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Si le confinement a bousculé les habitudes de tous, il n’a pas non plus épargné les chercheurs en cancérologie. Comment continuer ses recherches contre le cancer alors qu’il n’est plus possible de se rendre au cœur des laboratoires, sur le site physique du Centre Léon Bérard ? Virginie et Amélien ont bien voulu nous raconter ces dernières semaines pas comme les autres, sous leur blouse de chercheur.

Chercheurs en confinement : comment se poursuit la recherche contre le cancer ? Témoignages Chercheurs en confinement : comment se poursuit la recherche contre le cancer ? Témoignages 2020-05-05T11:12:48+02:00 2020-05-06T16:45:30+02:00 /sites/default/files/2020-05/chercheur_portraits_confinement-2.png

Virginie, Amélien, vous êtes chercheurs au Centre Léon Bérard : pouvez vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer en quoi consiste votre travail ?

 

Virginie Marcel : Bonjour, je suis Virginie, chercheur en biologie moléculaire appliquée à la cancérologie, et je travaille au CLB/CRCL depuis maintenant 8 ans dans l’équipe de Jean-Jacques Diaz. Depuis 2014, j’ai obtenu un poste permanent à l’Inserm. Je développe depuis cette date des projets pour comprendre comment le ribosome, une machinerie cellulaire à l’origine de la synthèse des protéines qui sont les briques et les acteurs de la vie de la cellule, contribue aux cancers.

 

Virginie Marcel

 

Amélien Sanlaville : Bonjour, je m’appelle Amélien Sanlaville. Je suis chercheur au Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon, basé au Centre Léon Bérard où je suis arrivé pour la première fois en 2011 pour y effectuer un stage de Master, puis ma thèse de sciences dans l’équipe co-dirigée par le Dr. Christophe Caux et le Pr. Jean-Yves Blay. En 2017, j’ai alors rejoint l’équipe dirigée par le Pr. Alain Puisieux où je suis toujours actuellement.

 

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Virginie : Et pour présenter mon travail de façon globale, j’anime un petit groupe pour déterminer quelles sont les altérations du ribosome dans les tumeurs et comment ses altérations du ribosome changent sa fonction et le comportement des cellules cancéreuses. Afin de comprendre comment le ribosome favorise la formation de tumeur et sa progression, nous menons une recherche intégrée qui inclut des domaines de la biologie très différents, comme la biologie moléculaire (étude des molécules qui composent et régissent le comportement de nos cellules) ou la biologie cellulaire (étude du comportement des cellules et de son évolution), mais aussi de domaines scientifiques plus éloignés qui permettent d’avoir une vision nouvelle sur la biologie, comme la biostatistique ou encore la bioinformatique.

Au quotidien, mon travail consiste à encadrer et faire de la recherche en cancérologie. En plus de la formation des étudiants, j’encadre les expérimentations, de leurs préparations à leurs analyses. Je communique les résultats issus de ces recherches, que ce soit sous format écrit (articles scientifiques) ou oral lors de congrès (posters et séminaires). De plus, je consacre une partie de mon temps à la recherche de financement, c’est à dire l’écriture de projet scientifique, puis une fois ces financements obtenus, l’écriture de rapports réguliers auprès des financeurs pour montrer l’avancée de nos travaux. J’anime aussi des ateliers scientifiques auprès des enfants et adolescents hospitalisés à l’IHOPe, car la vocation de chercheur, çà se découvre à n’importe quel âge !

Amélien : Pour ma part, mon activité s’articule principalement autour de la rédaction et de la communication scientifique. Je participe donc à la rédaction des publications scientifiques de l’équipe de recherche, des dossiers de demande de financement des projets de recherche et des rapports d’activité qui sont régulièrement demandés par les différents organismes financeurs.

 

" La recherche en cancérologie est un travail de longue haleine, qui s’étale sur plusieurs années, patients, soignants et chercheurs le savent bien, et ces quelques semaines ne vont pas amoindrir notre motivation à comprendre le cancer et à trouver de nouvelles solutions pour améliorer la prise en charge des patients." Virginie

 

Depuis le début de la crise sanitaire et du confinement mi-mars, qu’est-ce qui a changé dans votre travail au quotidien ? Racontez-nous !

 

Virginie : En ce qui me concerne, mon métier de chercheur se prête très bien au télétravail, que j’effectuai d’ailleurs une fois par semaine avant le confinement. En période « normale », le télétravail permet de se couper du monde en éteignant tous les moyens de communication pour se concentrer sur l’écriture qui représente une part importante de mon activité. Mais avec le confinement, même le télétravail est bouleversé car à l’inverse, tous mes moyens de communication sont actifs !

Concrètement, mes activités sont équivalentes : formation, encadrement de la recherche, communication scientifique et demande de financements sont toujours au cœur de mon activité quotidienne. Ce qui a changé c’est naturellement le format avec des réunions uniquement en visioconférence. Mais ce qui a le plus été bouleversé, c’est l’encadrement des personnes avec lesquelles je travaille, pour elles, le télétravail n’est pas quelque chose d’habituel voire compliqué au vu de leur activité principale : réaliser des expérimentations, aujourd’hui impossibles avec la fermeture des laboratoires. Il a donc fallu innover et faire preuve d’imagination !

Tout d’abord, nous avons innové dans les activités que nous avons recentrées sur l’analyse des dernières expérimentations réalisées, les formations à distance sur des appareils et logiciels de pointe ou encore la prise en main d’outils de gestion de laboratoire. En temps normal, ces activités ne sont pas nos priorités mais sont tout de même indispensables à notre recherche et surtout à l’innovation ! Ce temps de « pause expérimentale » est mis à profit pour centraliser nos protocoles expérimentaux dans une base de données, transférer nos résultats tenus dans un cahier de laboratoire papier vers un cahier de laboratoire électronique collaboratif et la préparation de nos expérimentations pour être prêts dès le déconfinement.

Ces activités vont nous permettre de gagner en efficacité, rigueur et productivité à notre retour au laboratoire.

Nous avons également innové dans la gestion des personnes. En temps normal, l’encadrement implique une réunion hebdomadaire pour assurer le suivi des expérimentations et des discussions informelles quotidiennes au détour d’un couloir. Naturellement, avec le confinement, ce suivi, et notamment le suivi spontané, est bouleversé ! Il faut s’assurer que les informations circulent bien, et que les personnes continuent à interagir entre elles pour conserver la dynamique du travail d’équipe. Tout un challenge ! Et c’est là que les outils de communication actuels sont une aubaine.

Nous avons mis en place des visioconférences quotidiennes pour assurer un suivi régulier et réactif, ouvert un espace collaboratif pour permettre les échanges de documents, créé une messagerie instantanée pour interagir rapidement et continuer les interactions entre collègues. Malgré le confinement, nous continuons notre recherche et nos réunions d’équipe (à 20 personnes !) pour faire avancer la recherche. Naturellement, l’arrêt des expérimentions sur lesquels reposent la recherche est un frein temporaire à l’avancée des projets mais, en tant que chercheur, il nous arrive de devoir prendre la décision de « ralentir » les expérimentations pour analyser, se former et réfléchir à la suite de nos projets, voire à de nouvelles hypothèses. Cela remet même en perspective notre manière de travailler ! Mais c’est dans ce genre de circonstances que nous pouvons rendre la recherche en cancérologie encore plus efficace et innovante dès notre retour dans les laboratoires.

 

Un chercheur en confinement : Continuer la recherche contre le cancer, même à distance !

Pas de journée type, mais des tâches bouleversées ! Impossible de se rendre à la paillasse et de continuer certaines expérimentations, mais cela ne veut pas dire que la recherche est à l'arrêt. Virginie et Amélien en profitent pour rédiger, remettre en perspectives des hypothèses, et avancer pour l'après.

Et toi Amélien, qu'est-ce qui a changé dans ton quotidien de chercheur ?

Amélien : Une de mes activités consiste à veiller à la bonne gestion et à l’organisation du laboratoire, et cela prend tout son sens depuis le début du confinement puisqu’il a fallu mettre en place une nouvelle organisation au sein du laboratoire afin d’assurer la continuité des activités essentielles dans le respect des règles de sécurité sanitaire pour le personnel d’astreinte, 5 personnes actuellement.
Elles sont importantes pour la surveillance du bon fonctionnement de tous les appareils du laboratoire, principalement réfrigérateurs et congélateurs.
En « temps normal », on s’en rendrait compte rapidement vu que l’on s’en sert tous les jours, mais vu qu’il n’y a pratiquement plus personne au laboratoire, la panne de l’un de ses appareils risquerait d’être découverte trop tard entraînant la perte du matériel stocké à l’intérieur, ce qui serait très préjudiciable !

Ce personnel d’astreinte est aussi là pour l’entretien des cultures cellulaires « précieuses » : certaines cultures cellulaires ne peuvent être stoppées et doivent être entretenues régulièrement (environ 2 fois par semaine).

 

ressources biologiques

 

Parallèlement à cela, mon activité de rédaction scientifique se poursuit sans réelle modification puisque ne nécessitant pas de présence particulière au laboratoire.

Je suis d’ailleurs actuellement en cours de rédaction de deux publications scientifiques, en lien permanent avec les différentes personnes impliquées sur ces travaux. Bien sûr, c’est difficile comme pour tous de ne pas voir ses collègues et de ne pas pouvoir interagir aussi facilement qu’avant. Mais nous arrivons à maintenir le contact avec tous les outils de communication à notre disposition !

 

" Indépendamment du contexte actuel, le cancer reste une préoccupation sanitaire de premier ordre, pour laquelle il est essentiel de poursuivre les activités de recherche. L’ensemble de la communauté scientifique reste donc mobilisé et poursuit au maximum son travail. Et il faut savoir qu’une partie de notre personnel de recherche s’implique également dans diverses activités de soutien pour l’ensemble de l’hôpital ! "  Amélien